Mahābhārata Livre 7 - Drona Parva Éloge de Yuyudhāna
XCVI Où Yuyudhana démontre qu'il mérite ce nom

Bhishma ne formula pas de jugement à propos de Satyaki, dont l'heure de gloire allait pourant sonner au cours de cet après midi-là. Satyaki rencontra de nombreux valeureux guerriers sur sa route vers son ami Dhananjaya et les récits des vingt-cinq sections qui suivent (CXI-CXXIII) lui sont entièrement consacrés. Cependant le plus beau récit de combat le mettant en scène est celui qu'il avait livré au même Drona plus tôt dans la journée. Aussi je prends la liberté de revenir en arrière pour te le raconter, ainsi que celui de Dhrishtadyumna qui le précède. Il me semble important de prouver que Yudhishthira "parlait vrai" en vantant les prouesses de Yuyudhana (et qu'il avait tort de s'inquiéter à son sujet au début de la section précédente).
[Sanjaya] Au cours de cette bataille, O roi, durant laquelle les guerriers combattirent sans égards l'un pour l'autre, Dhrishtadyumna fit s'emmêler ses chevaux avec ceux de Drona. Ces destriers dotés de la vitesse du vent, qui étaient blancs comme des pigeons et rouges comme le sang (ces derniers étant ceux de Drona), étaient extrêmement beaux quand ils étaient ainsi emmêlés, comme des nuages chargés d'éclairs. Alors, ce pourfendeur de héros hostiles, Dhrishtadyumna, le fils de Prishata, voyant Drona à sa portée, jeta son arc et prit son épée et son bouclier pour réaliser un exploit difficile. Saisissant le timon du char de Drona, il monta sur celui-ci. Il resta quelque temps perché sur le joug, puis sur sa fixation et derrière les chevaux. Tandis qu'il se déplaçait ainsi armé de son épée par dessus le dos de ces destriers rouges, Drona ne trouva pas l'opportunité de le frapper. Cet essor de Dhrishtadyumna était merveilleux à voir, comme celui d'un faucon survolant les bois pour trouver sa nourriture. Drona coupa avec cent flèches le bouclier, couvert d'une centaine de lunes, du fils de Drupada, puis son épée avec dix autres. Le puissant Drona abattit ensuite les chevaux de son adversaire avec soixante-quatre flèches, coupa son étendard et son ombrelle avec deux traits à larges têtes, e tenfin tua ses deux parshnis. Ensuite, tenadnat rapidement la corde de son arc jusqu'à l'oreille, il tira sur son adversaire un trait fatal, comme Indra tirant sa foudre. Mais Satyaki coupa cette flèche fatale de quatorze traits acérés. Ainsi le héros Vrishni, O sire, sauva Dhrishtadyumna, qui était tombé entre les griffes de ce lion parmi les hommes, le plus grand des précepteurs, comme un daim dans la forêt. Voyant Satyaki, ce taureau des Shinis, porter secours au prince Panchala, Drona lui expédia vingt-six flèches. Le petit-fils de Shini perça en retour Drona au milieu de la poitrine avec vingt-six flèches, tandis que l'autre était occupé à dévorer les Srinjayas. Les rathas Panchalas, souhaitant la victoire du héros Satvata, se dirigèrent vers Drona et enmenèrent Dhrishtadyumna.

section XCVII

[Dhritarashtra] Que fit ensuite ce grand archer, Drona, à ce tigre parmi les hommes, le petit-fils de Shini?
[Sanjaya] Drona était alors comme un puissant serpent ayant la colère pour poison, son arc tendu pour gueule ouverte et ses flèches aiguisées et pointues pour crochets. Avec ses yeux rouges comme le cuivre sous l'effet de la colère, respirant fort, ce puissant héros sans peur, porté par ses chevaux rouges à la grande vitesse, qui semblaient prendre leur essor dans les cieux et franchir des montagnes, se rua vers Yuyudhana, tout en déversant ses flèches munies d'ailes dorées. Ce vainqueur de cités hostiles, le héros de la race de Shini, voyant venir à lui l'irrésistible Drona tel un nuage, ayant ses flèches pour averses, le cliquetis de son char pour grondement, son arc tendu pour envergure, ses longs traits pour éclairs, ses dards et son épée comme tonnerre et sa colère pour vent, emporté par ces chevaux comme des ouragans, se dirigea vers lui. (Ce serpent-nuage d'orage me fait penser aux dragons, symboles de puissance, de la mythologie chinoise. Vyasa n'avait pas cette comparaison-là dans sa panoplie!) Il s'adressa à son aurige en souriant: "O suta, dirige-toi avec entrain, en obtenant de tes chevaux leur plus grande vitesse, vers cet héroïque brahmin qui a déchu des devoirs de son ordre, ce refuge du fils de Dhritarashtra dissipant ses chagrins et ses craintes, ce précepteur de tous ces princes, ce guerrier se vantant toujours de sa prouesse." Alors ses excellents destriers couleur d'argent du Madhava, dotés de la vitesse du vent, le portèrent rapidement vers Drona. Ces deux châtieurs d'ennemis combattirent en se frappant l'un l'autre de milliers de flèches. Ces deux taureaux parmi les hommes en remplirent la voûte céleste et masquèrent les dix points de l'horizon. Ils déversaient leurs traits comme des nuages à la fin de l'été. Le soleil devint invisible et le vent cessa de souffler. (Tellement l'air était dense, je suppose.) Cela causa une obscurité épaisse et continue qui devint insupportable pour les autres héros. On ne les voyait pas cesser de tirer. Ils étaient tous deux rapide dans l'utilisation de leur arme et tous deux étaient tels des lions parmi les hommes. Le bruit produit par ces torrents de flèches était tel celui de la foudre de Shakra. Les guerriers héroïques percés de leurs longs traits étaient, O Bharata, comme mordus par des serpents au virulent poison. Ces braves guerriers entendaient sans cesse la vibration des arcs de ces deux-là et le son de leurs paumes qui en se frappant produisaient une détonation comme la foudre frappant la montagne. (Je me demande parfois s'ils se frappaient les aisselles ou dans leurs mains par provocation, comme de grands singes, ou pour signifier "prends donc celle-là" comme le font les moines bouddhistes au cours de leurs joutes verbales.) O roi, les chars des deux guerriers, leurs chevaux et leurs auriges, percés de (nombreuses) flèches aux ailes dorées, offrirent un beau spectacle. (La cruauté des guerriers n'égale certes pas celle de ce Sanjaya.) Féroce était cette averse, O monarque, de flèches qui étaient brillantes et droites et qui ressemblaient à des serpents au poison virulent sortant de leurs mues. Leurs deux étendards étaient transperçés ainsi que leurs ombrelles. Ils étaient tous deux couverts de sang et inspirés par l'espoir de victoire. Avec ce sang qui dégoulinait de leurs blessures sur tous leurs membres, ils étaient tel un couple d'éléphants aux glandes suintantes. Ils continuaient à se frapper l'un l'autre de flèches fatales. Les rugissements et cris des soldats, le beuglement des conques et les roulements de tambours cessèrent, O roi. Nul ne produisit plus un son. Toutes les divisions se tinrent silencieuses. Tous les soldats cessèrent de combattre, car els gens emplis de curiosité devinrent des spectateurs de ce combat singulier. Les guerriers sur leurs char ou sur le dos de leurs éléphants, les cavaliers et les fantassins, entourant ces deux taureaux parmi les hommes, assistèrent à la rencontre avec les yeux fixés sur eux. Tous se tinrent sans bouger, en ordre de combat. (J'ai quelque mal à croire à cette discipline!) Ornés de perles et de coraux, couverts de gemmes et d'or, portant des armures faites d'or, des étendards et autres ornements, des bannières triomphales, des caparaçons sur les éléphants et des couvertures fines, des armes brillantes et pointues, des queues de yak embellies d'or et d'argent, des guirlandes sur les têtes des chevaux et sur les globes frontaux des éléphants, des anneaux autour de leurs défenses, O Bharata! (L'armée était prête pour la revue s'attend-t-on à lire. Mais non, il finit sa phrase par:) les armées Kuru et Pandava étaient alors comme une masse de nuages à la fin de l'été, ornés de rangs de grues et de myriades de lucioles, d'arcs-en-ciel et d'éclair d'orage. Nos hommes et ceux de Yudhishthira observèrent ce combat entre Yuyudhana et Drona à la grande âme. Les dieux aussi, avec à leur tête Brahma et Soma, les siddhas (au détachement légendaire) et les charanas, les vidyadharas, les grands serpents, regardèrent perchés sur leurs superbes chars aériens. Observant les différents mouvements, tantôt vers l'avant tantôt vers l'arrière, de ces deux lions parmi les hommes, et les coups qu'ils se portaient, les spectateurs étaient émerveillés. Tous deux doté d'une grande force, Drona et Satyaki, faisant montre de leur dextérité dans l'utilisation de leurs armes, continuèrent à se percer de flèches. Le Dashara coupa avec ses puissants traits ceux de l'illustre Drona puis, l'instant d'après, son arc aussi. En un clin d'oeil, le fils de Bharadvaja prit un autre arc et l'encorda. Cet arc aussi fut coupé par Satyaki. Alord Drona, avec une vitesse ultime fut pêt avec un autre arc en mains. Satyaki le coupa encore et il fit cela neuf fois, puis encore sept. En assistant à cet exploit surhumain de Yuyudhana, Drona pensa, O monarque: "La force de celui-ci avec des armes, ce fleuron des Satvatas, est celle de Rama ou Dhananjaya. Elle a été observée aussi chez Kartavirya et chez ce tigre parmi les hommes, Bhishma." (Kartavirya, dont le nom de naissance était aussi Arjuna, était ce héros aux mille bras qui déclencha la colère de Parashurama - voir intermède à ce propos dans le Vana Parva.) En voyant cette dextérité qui n'avait d'égale que celle de Vasava, ce meilleur des brahmins, ce plus grand de tous les porteurs d'armes, fut très satisfait du Madhava et applaudit mentalement sa prouesse. Les dieux et les gandharvas non plus n'avaitn jamais vu une telle dextérité, bein qu'ils aient assisté auparavant aux exploits dont Drona était capable. Drona, ce pourfendeur de kshatriyas, prit un autre arc encore et lança des projectiles. Satyaki les détourna avec la maya de ses propres armes et le frappa luimême de plusieurs flèches. C'était merveilleux (ce qui va sans dire pour la maya) et tout le monde applaudit. Satyaki se servit des projectiles de Drona pour les tirer sur lui. Voyant cela, le précepteur montra moins d'assurance que d'habitude. Ce maître des arts martiaux, très en colère, invoqua des armes divines pour la destruction de Yuyudhana. Face à la terrifiante arme Agneya destructrice d'ennemis, Satyaki, ce puissant archer, invoqua l'arme Varuna. A la vue de ces armes célestes, des cris de "Oh!" et "Hélas!" s'élevèrent. Les créatures qui parcourent les cieux cessèrent de passer par là. (Les dommages collatéraux dans ces cas-là sont toujours très importants.) Ces armes Varuna et Agneya qui avaient été attachées à leurs flèches (i.e. la flèche pointée par le guerrier en l'invoquant devient cette arme) devinrent se neutralisèrent l'une l'autre. Juste à ce moment-là, le soleil passa au zénith. Alors le roi Yudhishthira, suivi de Bhimasena, Nakula, Sahadeva, les Matsyas et les Salveyas, se dirigèrent vers Drona pour protéger Satyaki. De même, des milliers de princes avec Dushasana à leur tête se dirigèrent vers Drona entouré d'ennemis. Alors, O roi, commença une féroce bataille entre ceu-ci et ceux-là.
On ne se lasserait pas d'entendre les hauts faits de Yuyudhana, héros éminemment sympathique, quelque peu vantard, sacarstique dans ses propos et toujours de bonne humeur. Le treizième jour était son jour de gloire et, comme je le disais, vingt-cinq sections sont consacrées à raconter ses exploits tandis que, sur les pas d'Abhimanyu puis d'Arjuna, il traversait les rangs Kauravas. Précisons pour commencer que son étandard portait un lion en or massif et que ses chevaux blancs étaient de la souche Sindhu. Avant de partir au combat, ce héros buvait du "miel kairata", ce qui lui donnait des yeux rouges roulant dans leurs orbites (section CXII - les héros se dopaient déjà!). Entre deux combats Satyaki échangeait volontiers quelques propos avec son aurige, ne serait-ce que pour lui dire d'aller lentement (ce qui équivalait à lui faire savoir qu'il ne souhaitait pas éviter ceux qui se présentaient sur son chemin), ou pour se vanter, ou pour rendre hommage à son ami: "Sur les traces de Phalguna qui a déjà vaincu les Kurus nous n'avons fait que tuer des morts " (section CXVII); "Aujourd'hui Duryodhana pourra compter deux Arjuna" (section CXVIII); puis "Vois ma prouesse face à tous les Dhartarashtras" (section CXIX). L'aurige, du même calibre, lui répondait qu'il n'avait pas peur et lui demandait: "Contre lesquels es-tu fâché, qui vont aujourd'hui séjourner au domaine de Yama?" (section CXVIII). Il dut tout d'abord affronter les Bhojas, puis les Kambojas et fut poursuivi par Drona, qui aurait souhaité avoir sa revanche mais que Satyaki évita, comme l'avait fait son maître à penser Arjuna. Ensuite ce furent les Maghadas sur leurs éléphants qui s'opposèrent à lui, menés par leur prince du nom de Jalasandha. Satyaki lui coupa les deux bras puis la tête (section CXIV). Il se contenta de priver Duryodhana et Kritavarman de leurs armes (section CXV). Puis Drona revint à la charge et, au cours d'un beau combat, Satyaki tua son aurige, si bien que les fameux chevaux rouges emportèrent Drona où bon leur semblait (section CXVI). Ensuite ce fut Sudarshana, roi de Malava (royaume situé à l'ouest des monts Vindhyas, aujourd'hui au point triple entre Maharashtra, Madya Pradesh et Gujarat) auquel il coupa la tête (section CXVII). Il affronta à nouveau les Kambojas "pour remplir un voeu": il n'aimait pas ces guerriers au crane rasé que les Bharatas considéraient comme des mlecchas (section CXVIII). Duryodhana lui envoya ensuite les samshaptakas, ainsi qu'une division de "brigands sans foi ni loi", une autre de montagnards combattant avec de gros blocs de pierre comme les singes du Ramayana (section CXX), les Trigartas et son frère Dushasana (section CXXII). Il les vainquit tous, si bien que Dhritarashtra finit par demander à Sanjaya: "N'y en a-t-il pas un qui résista à Satyaki?"