Mahābhārata Livre 7 - Drona Parva Supratīka
Section XXIV Supratīka, l'éléphant du roi Bhagadatta

[Dhritarāshtra] Alors que les troupes étaient ainsi engagées et se dirigeaient les unes vers les autres en divisions séparées, comment se déroulèrent les combats entre Pārtha et les guerriers  de mon armée à la grande activité? Que fit Arjuna contre les guerriers sur char du corps des samshaptakas et que firent les samshaptakas en retour, O Sanjaya?
[Sanjaya] (ne répondant pas à la question) Quand les troupes étaient ainsi engagées et se dirigeaient les unes vers les autres, ton fils Duryodhana se précipita vers Bhīmasena, à la tête de sa division d'éléphants. Comme un éléphant en rencontrant un autre, ou un taureau rencontrant un autre taureau, Bhīmasena sommé (à combattre) par le roi lui-même se précipita vers la division d'éléphants de l'armée Kaurava. Doué pour le combat et doté d'une grande force physique, le fils de Prithā rompit rapidement (les rangs de ) cette division d'éléphants. Ces éléphants grands comme des montagnes et dont le fluide mâle s'écoulait par chaque pore (lit. de chaque partie de leur corps) étaient mutilés et forcés à tourner le dos par les flèches de Bhīmasena. En effet, tout comme le vent lorsqu'il se lève écarte les masses de nuages, le fils de Pavana mit en déroute ce corps d'armée des éléphants Kauravas. Bhīma tirant ses flèches sur les éléphants paraissait resplendissant comme le soleil levant, frappant de ses rayons tout ce qui est en ce monde. Les éléphants accablés par les flèches de Bhīma devinrent couverts de sang et beaux comme les masses de nuages pénétrés par les rayons du soleil au firmament. Alors Duryodhana, mis en colère, perça de flèches pointues le fils du dieu du vent qui était la cause d'un massacre de ses éléphants. Bhīma les yeux rouges de colère et désireux d'envoyer le roi au domaine de Yama, le transperça rapidement de nombreuses flèches acérées. Duryodhana blessé de partout par ces flèches et devenant enragé transperça Bhīma fils de Pāndu de nombreuses flèches ayant l'effulgence des rayons solaires, en souriant. Le fils de Pāndu, avec deux flèches à larges têtes, coupa l'arc de Duryodhana et son étendard, portant l'emblème d'un éléphant couvert de joyaux. Voyant Duryodhana ainsi accablé par Bhīma, le souverain des Angas (descendants d'un des fils du roi Vali engendrés par Dirghatamas, dont l'histoire est racontée dans l'adi parva, et qui sont considérés comme des mlecchas.)  arriva sur son éléphant pour mettre à mal le fils de Pāndu. Bhīmasena perça profondément avec une longue flèche entre les deux yeux ce prince des éléphants qui s'avançait (vers lui) en barrissant très fort. Cette flèche après avoir pénétré à travers son corps disparu profondément dans la terre et l'éléphant tomba comme une montagne touchée par la foudre. Au cours de cette chute le roi mleccha tomba également. Mais Vrikodara à la grande activité coupa aussi sa tête avec une flèche à tête large avant que son antagoniste touche le sol. Quand l'héroïque souverain des Angas tomba, sa division s'enfuit. (Le nom de ce roi des Angas n'est pas révélé. En fait ce peuple était profondément divisé et une large partie du royaume fut donnée à Karna par Duryodhana.) Chevaux, éléphants et conducteurs de chars frappés de panique écrasèrent les fantassins en s'enfuyant.
Quand ces troupes ainsi dispersées s'enfuirent dans toutes les directions, le souverain des Prāgjyotishas s'avança vers Bhīma sur son éléphant.
Il s'agit du roi Bhagadatta. Trois passages contradictoires du Mahābhārata ont donné lieu à un quiproquo au sujet de ce roi et de la location de son royaume. Dans l'un (sabah parva section XXXIII) il est dit que "le roi Bhagadatta de Prāgjyotisha vint au rajasuya de Yudhishthira accompagné de toutes les tribus mlecchas habitant les régions marécageuses bordant la mer". Ces régions marécageuses ne peuvent être situées qu'en deux endroits précis: le large delta du Ganges et du Brahmapoutre et le Rand of Kuch à l'ouest du Gujarat. Mais certains voudraient que ce royaume soit en Assam le long du fleuve Brahmapoutre mais éloigné de la mer. Plus tôt dans le sabha parva (section XIV), alors que Krishna incite les Pāndavas à lutter contre son ennemi Jarasandha, il dit que: "parmi les alliés de Jarasandha il y a ce roi des Yavanas qui a châtié Muru et Naraka, qui règne sur l'ouest et qui se nomme Bhagadatta. Il était un ami de Pandu." Dans la section XXV, Dhananjaya part à la conquête des territoires du nord (allant jusqu'au lac Manasarovar) et obtient entre autres la soumission de ce Bhagadatta, appelé en la circonstance roi des Prāgjyotishas, sans combattre. La confusion provient sans doute de la signification du nom Prāgjyotisha, "éclairé par l'est", qui est aussi le nom de la capitale du grand asura Naraka, située traditionnellement en Assam, à Kāmarūpa près de Guvahati (Bhāgavata Purāna X.39) Des admirateurs modernes du roi Bhagadatta, se fondant sur ce quiproquo lui attribuent un royaume s'étalant de l'Himachal Pradesh jusqu'en Assam en passant par le Népal. Inutiles de leur enlever leurs illusions, il y eut probablement deux Prāgjyotishas et l'une de ces deux cités était au nord d'Indraprastha, probablement en Himachal Pradesh, "contrée montagneuse" s'il en est mentionnée ci-dessous. 
Avec ses deux jambes antérieures et sa trompe contractées, empli de rage et les yeux roulant (dans leurs orbites) , cet éléphant semblait (vouloir) consumer le fils de Pāndu. Il aplatit le char de Vrikodara avec les chevaux qui y étaient attelés dans la poussière. Bhīma se rua en avant et passa sous le corps de l'éléphant, car il connaissait la science appelée anjalikabedha (pénétration par en dessous). Vraiment, le fils de Pāndu ne s'enfuit pas. Passant sous l'éléphant, il commença à frapper de nombreux coups de ses bras nus cet éléphant invincible qui était enclin à le tuer. Sur ce, cet éléphant se mit à tourner rapidement comme une roue de potier. Doté de la force de dix mille éléphants, Vrikodara béni (des dieux) après avoir ainsi martelé l'éléphant sortit de sous le corps de Supratīka (à la belle forme) et se planta face à lui. Alors Supratīka, saisissant Bhīma avec sa trompe, le jeta à terre sur les genoux. En fait, l'ayant saisi par le cou, l'éléphant voulait le tuer. Tordant alors la trompe de l'éléphant, Bhīma se libéra de son emprise et une fois encore passa sous le corps de cette énorme créature. Il attendit là, espérant l'arrivée d'un éléphant hostile de sa propre armée. Sortant de sous le corps de la bête, Bhīma s'éloigna en courant à grande vitesse. On entendit alors une grande clameur provenant de toutes les troupes: "Hélas, Bhīma a été tué par l'éléphant." L'armée Pāndava, effrayée par cet éléphant, s'enfuit, O roi vers là où attendait Vrikodara. Pendant ce temps, le roi Yudhishthira, pensant que Vrikodara avait été tué, entoura Bhagadatta de toutes parts, aidé par les Pānchālas. L'ayant entouré avec de nombreux chars, le roi Yudhishthira, ce meilleur des mahārathas, couvrit Bhagadatta de traits acérés par cents et par milles. Bhagadatta, ce roi des contrées montagneuses, écartant cette averse de flèches avec son crochet de fer, entreprit de consumer Pāndavas et Pānchālas au moyen de son éléphant. L'exploit auquel nous avons assisté, O roi, de la part du vieux Bhagadatta et de son éléphant était merveilleux. Le souverain des Dasharnas (contrée des dix lacs au Madya Pradesh) se rua sur le roi des Prāgjyothisha, sur le dos d'un éléphant agile dont les glandes temporales répandaient leur mout, pour attaquer Supratīka par le flanc. la bataille qui eut alors lieu entre les deux éléphants de taille effroyable, ressemblait celle entre deux montagnes ailées couvertes de forêts dans les temps anciens. L'éléphant de Bhagadatta, tournant sur lui-même, attaqua celui du roi des Dasharnas et lui ouvrit le flanc, le tuant sur le coup. Bahgadatta, avec sept lances brillant comme les rayons du soleil, tua son antagoniste assis sur l'éléphant juste au moment où ce dernier allait tomber de son siège. Transperçant alors Bhagadatta, Yudhishthira l'entoura avec ses nombreux chars. Assis sur son éléphant au milieu des chars qui l'entouraient de toutes parts, il resplendissait comme un feu ardent au sommet d'une montagne au milieu d'une dense forêt. Il restait immobile sans peur au milieu des chars serrés conduits par de féroces archers qui tous l'arrosaient de flèches. Le roi des Prāgjyothishas, pressant son énorme éléphant (avec son crochet ou le pied) le fit se diriger vers le char de Yuyudhāna. Cette bête prodigieuse, saisissant le char du petit-fils de Shini, l'envoya au loin avec grande force. Cependant Yuyudhāna échappa dans une fuite opportune et son aurige aussi, abandonnant les grands destriers de la souche Sindhu attelés au char, suivit Satyaki et se tint près de lui. Pendant se temps, l'éléphant sortant rapidement du cercle de chars, entreprit de jeter à terre tous les rois (qui étaient dessus). Ces taureaux parmi les hommes, terrorisés par ce seul éléphant qui courait rapidement, croyaient le voir se multiplier sur le champ de bataille. En effet, Bhagadatta, monté sur son éléphant, entreprit de châtier les Pāndavas comme le chef des dieux monté sur Airāvata châtiant les Danavas. Alors que les Pāndavas fuyaient dans toutes les directions, s'éleva un grand tumulte provenant de leurs chevaux et éléphants. Bhīma, devenant enragé, se précipita à nouveau vers le souverain des Prāgjyothishas. L'éléphant de ce dernier effraya les destriers de Bhīma en les aspergeant d'eau projetée avec sa trompe et ces animaux emportèrent Bhīma au loin. Le fils de Kriti, Ruchiparvan, se précipita à bord de son char vers Bhagadatta, en déversant une pluie de flèches et en progressant comme le Grand Destructeur lui-même. Bhagadatta, ce roi des contrées montagneuses, pourvu de beaux membres, expédia Ruchiparvan d'un trait bien droit vers le domaine de Yama. Après la chute de l'héroïque Ruchiparvan (inconnu aujourd'hui tout comme son père), le fils de Subhadrā et ceux de Draupadī, ainsi que Chekitana, Dhrishtaketu, Yuyutsu, s'acharnèrent sur l'éléphant. Désirant le tuer, tous ces guerriers déversèrent leurs flèches sur l'animal comme les nuages aspergent la terre de torrents d'eau, tout en poussant des cris. Pressé par son habile conducteur au moyen des talons, du crochet et des orteils, l'animal s'avança avec la trompe dressée et les yeux fixés sur les chars. Piétinant les chevaux de Yuyutsu, l'animal tua ensuite son aurige. O roi, Yuyutsu abandonna son char et s'enfuit rapidement. A ce moment là, ton fils (Duryodhana)  se précipita enragé sur le char du fils de Subhadrā, tandis que le roi Bhagadatta sur son éléphant resplendissait tel le soleil, déversant toujours ses rayons-flèches sur l'ennemi. Le fils d'Arjuna (Abhimanyu)le transperça d'une douzaine de flèches et Yuyutsu de dix, chacun des fils de Draupadī de trois et Dhrishtaketu aussi de trois. L'éléphant percé par ces flèches tirées avec précision, resplendissait comme une puissante masse de nuages pénétré par les rayons du soleil. Accablé par ces traits de l'ennemi, l'éléphant poussé par son conducteur avec talent et vigueur envoya valser les guerriers hostiles qui se trouvaient de chaque côté de lui. Comme un garçon vacher guidant son bétail dans la forêt avec un aiguillon, Bhagadatta persistait à châtier l'armée Pāndava. Un bruit sonore et confus s'entendait dans les troupes Pāndavas qui s'enfuyaient à grande vitesse, comme le croassement de corbeaux en retraite assaillis par l'épervier. Ce prince des éléphants, aiguillonné par son conducteur avec un crochet, ressemblait à une montagne ailée du temps jadis. Il emplissait les coeurs des ennemis de peur, comme celle des marchants à la vue de la mer qui déferle. (Quoiqu'ils veuillent s'en défendre les Indiens ont toujours été de piètres marins et la proportion de ceux qui savent nager laisse rêveur.) Eléphants et chars, chevaux et rois, fuyant apeurés, emplissaient, O monarque, la terre et le ciel, les cieux et les points cardinaux, et les directions subsidiaires, d'un vacarme sonore et horrible. Monté sur ce meilleur des éléphants, le roi Bhagadatta pénétra dans les rangs de l'armée ennemie comme l'asura Virochana en des temps plus anciens dans l'armée céleste "bien protégée" par les dieux. (Virochana était le fils de Prahlada et le père de Bali). Un vent violent se mit à souffler et un nuage de poussière recouvrit le ciel et les troupes. Les gens pensaient que cet éléphant unique se multipliait et parcourait tout le champ de bataille.

Par deux fois dans ce texte, Supratīka (celui qui a un beau corps) est comparé à une de ces montagnes ailées du temsp jadis. D'autres passages du Mahābhārata comparent les éléphants en marche à des collines mouvantes. Aussi je suis convaincu que cette légende des montagnes ailées est née dans l'esprit des Aryens aux temsp védiques, lorsqu'ils découvrirent pour la première fois avec stupeur des éléphants avec leurs grandes oreilles très mobiles. Il semblerait que Bhīma ait trouvé son maître dans cet éléphant.